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Le logiciel libre en 2003

Auteur

Olivier Berger

Résumé

Le logiciel libre (cf. définition ci-dessous) a bénéficié d'une reconnaissance mondiale sans précédent en 2003.

Aucun DSI ne peut ignorer plus longtemps cette solution alternative, qui permet au moins, même si aucune migration n'est finalement décidée, de forcer les vendeurs des solutions propriétaires « traditionnelles » du marché à expliciter leurs grilles de coûts ! Cette « menace » du libre pour les acteurs dominants de l'édition informatique se fait tellement pressante qu'une réplique intense n'aura pas tardé à se faire sentir, notamment du côté juridique et législatif.

Définition du logiciel libre

Nous reprenons la définition donnée par la fondation pour le logiciel libre (Free Software Foundation : http://fsf.org) :

L'expression « Logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d'exécuter, de copier, de distribuer, d'étudier, de modifier et d'améliorer le logiciel. Plus précisément, elle fait référence à quatre types de liberté pour l'utilisateur du logiciel :

  1. La liberté d'exécuter le programme pour tous les usages,

  2. La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de l'adapter à vos besoins. Pour cela, l'accès au code source est une condition requise,

  3. La liberté de redistribuer des copies, donc d'aider votre voisin,

  4. La liberté d'améliorer le programme et de publier vos améliorations, pour en faire profiter toute la communauté. Pour ceci, l'accès au code source est une condition requise.

Alors que 2003 voit l'arrivée de versions majeures stables et packagées des principales applications libres utiles dans la majorité des organisations (bureautique avec OpenOffice[1], infrastructures autour de Linux, serveurs de bases de données avec PostgreSQL, ou serveurs Web avec Apache), cette solidité technologique est, en parallèle, soutenue par une organisation plus mature des acteurs (VARs, SSII). Ceux qui avaient pris position sur le marché de l'OpenSource, à travers des offres et du marketing soutenu, auront renforcé la confiance des utilisateurs dans des technologies qui se banalisent (Linux, Apache, Mozilla, MySQL, PHP). Ainsi, IBM est toujours plus impliqué sur Linux, Novell rachète Ximian et Suse, Sun s'implique dans Gnome et surtout StarOffice. De très nombreuses enquêtes des cabinets d'analystes du marché prédisent en effet un avenir en forte croissance (voire la plus forte) pour les solutions basées sur les logiciels libres (nommées aussi « open source », pour ne pas effrayer le businessman moyen). De fait, les grands utilisateurs ont ainsi presque tous défini des stratégies claires d'intégration du libre.

Les annonces d'arrivée de nouveaux produits réellement compétitifs pour les utilisateurs n'auront en effet pas manqué, dont l'une des plus remarquée est sans doute la disponibilité de la suite OpenOffice.org, fortement soutenue par Sun (avec sa déclinaison commerciale StarOffice), qui concurrence enfin de façon crédible le monopole de la solution bureautique Office de Microsoft, surtout du point de vue des coûts de licences pour le fameux TCO, dans les grands plans de déploiement de postes de travail.

Du côté marketing, IBM reste toujours l'acteur le plus efficace, qui a décliné les publicités pour Linux sous différentes formes. Quasiment impossible d'y échapper, dans la presse spécialisée ou même à la télévision ! La ménagère de moins de 50 ans basculera-t-elle vers Linux ? ... N'exagérons peut-être pas.

Mais à côté de cette arrivée de l'OpenSource enfin presque banale dans les stratégies économiques de l'informatique professionnelle, où les raisons de coûts peuvent souvent motiver les changements de technologies, 2003 marque aussi une prise de conscience encore plus fondamentale par de nombreux acteurs, de l'intérêt de l'alternative portée par les valeurs du libre.

Ainsi, le secteur de l'administration publique, a été souvent le premier à se poser concrètement des questions fondamentales en matière d'utilisation plus juste des crédits publics dans l'investissement informatique, où le logiciel libre sera vu comme la clé d'une dépense plus saine et durable. Certains, comme la municipalité de Munich[2], auront à cet égard servi d'exemple, car très médiatisés. Ces vertus du modèle libre : choix, coûts réduits, indépendance, notamment, vis-à-vis des fournisseurs, développement local, fiabilité, etc. permettent aux utilisateurs de reprendre le pouvoir, et c'est d'autant plus important en matière d'effet prescripteur sur le marché, de la part de gros donneurs d'ordre publics. Plusieurs initiatives remarquées dans ce domaine : le programme IDA de la Commission européenne[3] qui a publié un guide de migration complet et précis vers le libre[4], ou bien l'association ADULLACT, en France, qui regroupe les DSI de collectivités territoriales qui souhaitent mutualiser leurs développements de solutions spécifiques via le libre[5].

Dans les pays du Sud, ça bouge également sur tous les fronts. Dans ces régions pour lesquelles l'alternative résidait souvent dans la copie non autorisée — oui, certains nomment aussi cela « piratage », même si personne n'en sort la gorge tranchée et si aucun bateau n'est coulé pour autant — et où les savoir-faire commencent à émerger en informatique, se pose un problème économique et politique sérieux pour les états, dès lors qu'ils sont incités à rejoindre les règles du commerce mondial (via l'entrée dans l'OMC) et par là-même à respecter les lois sur le copyright. Aussi, encouragés en cela par nombre de rapports d'instances internationales comme l'UNESCO[6], nombre d'entre eux choisissent résolument le libre comme garantie d'indépendance économique et politique, notamment par rapport à la dominance des états-Unis sur l'industrie informatique. Du moins, est-ce sensible dans les directives politiques affichées... la traduction dans les faits étant parfois plus hypothétique, compte tenu des spécificités politiques ou organisationnelles locales. On notera que les enjeux globaux de la géopolitique mondiale ne sont ainsi pas totalement étrangers à ce mouvement d'adoption du Libre au Sud, et l'Europe pourrait être bien avisée de choisir son camp dans cette affaire, compte tenu de l'état moribond de son secteur de l'édition informatique (cf. l'affaire des brevets logiciels, ci-dessous).

Toujours est-il qu'on a presque du mal à suivre toutes les annonces de choix d'une politique favorisant le libre, au Sud, ou au nord dans le secteur public. Pour une référence précise, on consultera par exemple, le rapport « Open Source Software : Perspectives for Development »[7], commandé par la Banque mondiale.

Ce mouvement mondial du Libre est comparable aux autres initiatives alter-mondialistes, souvent résolument politique, car il est aussi poussé par des associations de développeurs et d'utilisateurs de la société civile. Notons que le SMSI à Genève aura d'ailleurs été l'occasion de luttes intenses pour la reconnaissance du Logiciel Libre dans les déclarations (avec un succès mitigé). Mais ce mouvement du Libre est aussi fondamentalement nouveau dans son acceptation par le « business », car réalisant en fait une vraie opportunité de développement durable, de reconquête par les utilisateurs de leur liberté de choix des solutions, de leur autonomie.

Face à ce développement du libre, les acteurs de l'édition propriétaire redoublent d'énergie sur tous les fronts, pour protéger leur modèle de revenus.

On notera en particulier le combat intense de lobbying des deux camps autour de la Directive européenne sur les brevets de logiciels qui a eu lieu tout au long de 2003. L'issue n'est pourtant pas encore claire, car même si le parlement Européen a voté, en pratique, contre la brevetabilité des logiciels, les gouvernements et les multinationales ne désarment pas pour passer outre dans des phases ultérieures de l'élaboration de la Directive, au mépris de cette affirmation démocratique au Parlement.

Autre épisode non résolu début 2004 : le procès intenté par SCO au reste du monde (via IBM en particulier), sur d'hypothétiques droits de propriété sur le code d'Unix qui serait repris dans le noyau Linux. L'objectif semble bien de déstabiliser la confiance gagnée par Linux (à travers le soutien d'IBM) en semant le doute chez les clients... vieille stratégie bien connue du « FUD » (Fear Uncertainty Doubt) qu'IBM adopta d'ailleurs en son temps, pour l'anecdote. Quand on essaye de comprendre de quels droits ils s'agit, la stratégie de SCO, qui est depuis quelques temps complètement hors-jeu dans le monde Unix, a quelque chose de tellement ridicule que l'on se demande réellement ce qu'ils ont a gagner à tant de man oeuvres juridiques... si ce n'était qu'un des premiers à avoir pris une licence chez SCO est justement Microsoft... coïncidence ?

L'année 2004 continuera n'en doutons pas à amener son lot d'épisodes médiatico-juridiques pour ou contre le Libre, dont certains seront peut-être suffisamment sérieux pour menacer l'existence du Libre (législations sur le copyright, brevets ou technologies de « Trusted Computing »), mais la tendance semble être bien partie pour longtemps en faveur du logiciel libre, car les utilisateurs qui ont goûté à cette liberté de maîtriser leur informatique pourraient-ils revenir en arrière ?

Compléments

Le lecteur curieux souhaitant plus de détail sur l'actualité du libre en 2003 trouvera une chronologie détaillée (en anglais) dans l'excellente compilation « LWN.net 2003 Linux Timeline » : http://lwn.net/Articles/Timeline2003/.


[1] Suite bureautique OpenOffice.org : http://openoffice.org/

[2] Munich chooses Linux over Microsoft, IDG News Service, 28 Mai 2003 (previously available at http://www.linuxworld.com/story/32690.htm)

[3] IDA Open Source Observatory : http://europa.eu.int/ISPO/ida/oso/

[4] « Guide de migration IDA vers l'Open Source », octobre 2003, 133 p. Traduction en français « non officielle » : http://europa.eu.int/ISPO/ida/export/files/fr/1633.pdf

[5] Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour l'Administration et les Collectivités Territoriales : http://www.adullact.org/

[6] Rapport de la consultation « UNDP/UNESCO FOSS Consultation  (24-25 November 2003), UNESCO Paris, France » : http://portal.unesco.org/ci/ev.php?URL_ID=13863&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201

[7] Paul Dravis, « Open Source Software : Perspectives for Development », programme InfoDev de la Banque Mondiale, 44 p. http://www.infodev.org/symp2003/publications/OpenSourceSoftware.pdf