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Le logiciel libre en 2004

Auteur

Olivier Berger

Résumé

Le logiciel libre a bénéficié d'une reconnaissance mondiale sans précédent en 2004.

L'année 2004 reflète les grandes tendances amorcées en 2003 : banalisation du libre, affrontements entre partisans et opposants à ce nouveau modèle de "propriété intellectuelle", et consolidation économique du secteur.

L'année passée (cf. Le logiciel libre en 2003) nous annoncions que le phénomène du logiciel libre serait désormais incontournable. L'actualité en 2004 ne nous a pas démentis, au contraire.

Du côté de l'offre logicielle, l'année 2004 a compté notamment la sortie de la version 1.0 du navigateur Firefox et un début de déploiement massif d'OpenOffice. Ceci crédibilise, même chez les utilisateurs Windows les plus endurcis, la maturité du libre.

La guerre des navigateurs bien relancée

Firefox (http://www.mozilla.org/products/firefox/) est le dernier né (version 1.0) des navigateurs libres de la Fondation Mozilla. Il offre enfin une alternative crédible et performante à Internet Explorer (y compris dans l'environnement Windows). Si l'on en croit la Fondation Mozilla, il s'est téléchargé au cours du seul premier mois depuis sa sortie, 10 millions de copies ! C'est un bon début... Mais il est vrai que ce succès n'est pas complètement le fruit du hasard. La communauté des développeurs Mozilla s'est en effet dotée d'une fondation, qui dispose maintenant de représentants à travers le monde entier et organise, au-delà du seul développement, la présence médiatique (pour l'Europe, le quartier général est en France, voir : http://www.mozilla-europe.org/fr/). Ainsi, de plus en plus, la communauté du libre se structure et dispose de représentations dans tous les pays (Apache, Mozilla, MySQL ...) et n'aura bientôt rien à envier (même sans budgets comparables) aux campagnes de lancement des concurrents non-libres (voir par exemple le site et la campagne de « marketing viral » http://www.spreadfirefox.com/).

Le marketing et le bouche-à-oreille aidant, ce maître renard ("fox" en anglais) se répand donc, et mange chaque jour des parts de marché à Internet Explorer. D'aucuns lui prédisent 1% de part de marché gagné chaque mois. Microsoft conserve encore pour longtemps une belle avance, mais il semble que le leader n'ait pas su renouveler sa gamme de navigateurs Web, pour susciter la curiosité et répondre au besoin de changement des utilisateurs friands de nouveauté. Quelle que soit l'importance de l'effet de mode, Firefox a certes des qualités indéniables : convivialité, vitesse, stabilité, et respect de la confidentialité et des standards.

Côté respect des standards du Web, mentionnons justement, en 2004, le vote de la Loi sur la Confiance dans l'Économie Numérique (LCEN), qui, entre autres changements législatifs importants, apporte une définition des standards ouverts, qui faisait défaut jusque-là : « On entend par standard ouvert tout protocole de communication, d'interconnexion ou d'échange et tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d'accès ni de mise en œuvre » (art. 4 - http://www.foruminternet.org/documents/lois/lire.phtml?id=733). Cela permettra certainement de clarifier le débat autour des standards ouverts, de l'interopérabilité et des logiciels libres.

Le libre se diffuse donc de façon soutenue en 2004, accompagné par une couverture médiatique particulièrement forte, notamment dans la presse informatique professionnelle. Combien de couvertures de 01 Informatique ou Le Monde Informatique au sujet du libre !

Il faut bien croire que quelqu'un utilise bien ces fameux logiciels libres. Il ne s'agit décidément pas uniquement d'un phénomène de mode passager : l'intérêt pour le libre est général, et même affiché clairement du côté des administrations publiques, par exemple. L'éventail de solutions libres a maintenant de quoi séduire, il est vrai.

La migration en vraie grandeur

Après l'essor d'Apache ou de Samba côté serveurs, c'est sur le poste de travail que se concentrent les enjeux. La suite bureautique OpenOffice.org (http://fr.openoffice.org/), est aujourd'hui en tête des interrogations sur le déploiement du Libre, notamment au-dessus du système Windows. Quelques exemples en France : la gendarmerie Nationale : 20 000 postes migrés et 70 000 à terme, la direction des douanes, le Ministère de l'Intérieur, etc. L'actualité s'est aussi concentrée sur le cas de la "libération" potentielle de Paris, où une étude envisageait le passage des postes bureautiques à OpenOffice.org... le verdict final semble être "trop cher pour l'instant"... d'autres administrations ont été plus dirigistes, prêtes à assumer les coûts de migration afin de gagner en indépendance.

La migration est donc bien entamée, même si elle est partielle. Pour certains, il semble encore peu intéressant de migrer le système d'exploitation du poste client, compte tenu des coûts induits d'accompagnement du changement, mais la volonté d'émancipation peut faire la différence, d'autant que certaines offres commerciales commencent à venir avec des PC pré-installés en GNU/Linux (avec Mandrake par exemple), y compris pour le grand public (VPC, grande distribution).

Certains s'interrogeaient rituellement sur la pérénité des acteurs et de leurs modèles économiques. À n'en pas douter, la stratégie d'IBM semble bien ancrée, et offre un certain gage de sérénité en la matière, mais ne faudrait-il pas craindre que le couple RedHat + IBM truste tout le marché du service "Linux" ? Pour ce qui concerne la fourniture des distributions, Novell qui a racheté Süse semble lui assurer un futur plus serein (http://www.novell.com/fr-fr/linux/), et côté français, Mandrakesoft est enfin sortie de la période d'incertitude financière, et dégage les premiers bénéfices (http://www.mandrakesoft.com/). Les SSII s'intéressent de plus en plus au libre, et les acteurs spécialisés se regroupent pour mieux marquer leur différence face aux mastodontes du service généralistes (création de l'ASS2L (http://www.ass2l.org/), premières offres de Tierce Maintenance Applicative sur les logiciels libres, avec helpdesk à la clé, etc.). Le marché répond donc enfin aux inquiétudes des utilisateurs, avec une offre lisible et soutenable économiquement.

Tester facilement GNU/Linux ?

Tout le monde n'est pas prêt à se lancer dans une migration. Alors, avant de franchir le pas, comment tester enfin ces logiciels libres, notamment pour le poste de travail professionnel ou sur le PC personnel ? Un produit phare à tester absolument : le "live CD". Plusieurs versions existent de ces systèmes qui permettent de faire fonctionner un PC à partir d'un système qui démarre sur un CD-ROM, donc sans installation sur la machine, sans risque de destruction de données. La configuration matérielle est détectée automatiquement, le réseau y compris, et il n'y a plus qu'à découvrir le navigateur, la suite bureautique ou les innombrables autres programmes libres stockés sur la galette de vinyle. L'utilisateur peut ainsi échapper à l'étape toujours périlleuse et parfois complexe de l'installation, puis travailler, et enfin sauver ses données sur une clé USB. Où les trouver ces live-cd ? Knoppix, en téléchargement sur Internet (http://www.knoppix.org/), ou bien par exemple dans les rayons des magazines informatiques, avec MandrakeMove, aussi vendue un peu plus de 100 euros avec sa clé USB, dans tous les bons megastore culturels (http://www.mandriva.com/fr/individuals/products/move/).

Le modèle du libre est-il souverain ?

Au-delà des clivages politiques, le Logiciel Libre est maintenant perçu par tous comme un enjeu clé d'une politique de développement (durable) des TIC, voire même d'une politique industrielle du logiciel. Pour les administrations publiques en tout cas, l'affaire a l'air entendu. Le projet FLOSSPOLS étudie actuellement, pour la Commission Européenne, l'impact du libre dans les administrations en Europe (http://www.flosspols.org/). Plus de 60 pour-cents d'entre-elles utilisent le logiciel libre, à des degrés divers selon les pays, et nombre d'entre-elles rejoignent, en France, l'ADULLACT (http://www.adullact.org/) pour mettre en place réellement une politique de mutualisation des systèmes d'information (dématérialisation des marchés publics, portails, systèmes de gestion hospitalière, etc.).

Certaines institutions publiques vont jusqu'à s'attaquer à un des facteurs clés dans la perception des risques qui pèseraient sur les décideurs publics qui veulent contribuer au patrimoine des logiciels libres : le respect par les licences de la législation française. On notera ainsi l'arrivée en juillet 2004 de la licence CeCILL (http://www.cecill.info/index.fr.html), une licence de logiciel libre écrite pour constituer un équivalent de la GNU GPL, mais en français, et censée mieux respecter le droit français, tout en restant intégralement compatible avec la GPL. Cette nouvelle licence produite conjointement par le CEA, l'INRIA et le CNRS, a été critiquée dans la communauté des développeurs de logiciels libres, mais en la matière les débats sont souvent très vifs, sans qu'il soit facile de conclure sans attendre l'épreuve du temps. En tout cas, cela montre un souci salutaire, et de plus en plus présent, pour les organismes de recherche, de favoriser la diffusion des résultats de recherche au travers du modèle libre. On est loin de la doctrine en vogue dans les années passées, du tout "propriété intellectuelle", de la valorisation financière à tout crin, des brevets à tout va.

Le mouvement pour l'accès ouvert aux publications de la recherche, suite aux appels de Budapest et de Berlin, aux déclarations du SMSI, et le succès des revues scientifiques en accès ouvert, démontre aussi une prise de conscience des chercheurs, de la nécessité de l'ouverture de l'information scientifique, et ce dans un domaine bien plus vaste que le logiciel. Reste peut-être à concrétiser cette première prise de conscience, au delà des innovations juridiques, par une vraie stratégie politique plus affirmée de la R&D logicielle en Europe. Dans cette perspective, la bataille rangée entre lobbies, Parlement Européen et gouvernements, sur la brevetabilité du logiciel, toujours indécise fin 2004, pèsera lourd sur le succès des initiatives fondées sur le logiciel libre.

Quelle tendance dans l'industrie ?

On l'a vu, les administrations publiques sont engagées résolument, dans le monde entier, dans une démarche volontariste pro-libre, et affichée publiquement. De plus en plus d'entreprises industrielles, à tous niveaux semblent, elles-aussi, intéressées, mais parfois perplexes, sur l'utilité (technique, économique) qu'elles pourraient trouver dans le libre, avec aussi parfois des craintes pour leurs modèles d'affaires. Les modèles économiques des projets de développement libres sont en particulier l'un des aspects les plus déroutants, même s'il y a probablement beaucoup de peurs et de fantasmes propagés par les médias, et bien-sûr par les éditeurs propriétaires. Afin de clarifier ces aspects, la Commission Européenne a lancé en septembre 2004 le projet de R&D pluridisciplinaire CALIBRE (http://www.calibre.ie/), auquel participe l'INT, afin d'aider à diffuser auprès de l'industrie Européenne les meilleurs pratiques du libre, la connaissance des modèles économiques, et des mécanismes de production des logiciels libres dans les communautés, en "ciblant" surtout les entreprises dont le développement de logiciels n'est pas le cœur de métier. Nous relaterons les enseignements de ce projet dans les prochaines éditions de l'année des TIC.

Extension à d'autres biens communs

Le succès du logiciel libre s'accompagne de nombreuses initiatives partant des mêmes idées de partage collaboratif du savoir et des créations immatérielles. En particulier cette année, on notera l'arrivée de la traduction française des licences Creative Commons (http://creativecommons.org/), extrêmement populaires dans le monde entier, qui permettent d'offrir aux créateurs, aux auteurs, un outil de définition de licence de distribution et de promotion de leurs œuvres. Creative Commons propose astucieusement une palette de degrés d'ouverture des œuvres, qui vise à répondre à des démarches différentes : le but est toujours de rendre les œuvres accessibles et plus facilement diffusables, notamment sur le Net, mais chaque auteur a la possibilité de conserver quelques prérogatives, par exemple sur l'utilisation commerciale ou non. Le vocabulaire choisi par les créateurs de cette initiative est à cet égard intéressant : on ne parle pas de libre, d'ouvert, mais de créativité. Sous ce label "Creative Commons", on retrouvera une grande diversité d'œuvres ou de modalités de distribution, mais le grand nombre et la qualité de ces œuvres favorisent la visibilité de la démarche. En retour, le "label" promeut l'ensemble des œuvres.

Autre grand succès : après quatre ans d'existence, l'encyclopédie libre et contributive Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/) qui a dépassé le million d'articles (plus de soixante-dix mille articles en français), devient maintenant une référence incontournable : Le Monde ou le Nouvel Observateur pointent maintenant sur les articles de WikiPedia dans les sources de référence de leurs articles.

Nous terminerons ce panorama d'une actualité très riche par une nouvelle initiative prometteuse apparue en 2004 : « Un point c'est tout » (http://upct.org/), une initiative qui vise à constituer une base de donnée cartographique citoyenne, libre et contributive : l'objectif du projet est de permettre à chaque contributeur disposant d'un GPS de mettre à disposition de la communauté des informations géolocalisées (traces, points remarquables) qu'il aura collectées, et d'offrir un "moteur de recherche" capable de restituer l'ensemble de ces informations sur des cartes. Les applications sont innombrables, et le projet ambitieux. Souhaitons que cette utopie d'une myriade de cartographes bénévoles soit réussie, et que chacun se réapproprie ainsi, après son espace (logiciel) virtuel sur le Net, son environnement "in-real-life".

Pour plus de détails sur l'actualité du libre en 2004, nous vous recommandons l'excellente et très dense série "Sélection libre" http://www.april.org/groupes/selection/ de l'Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre (APRIL).